Lofofora
l'interviou exclusive !!

Lofofora fait partie de ces rares groupes dans la lignée du rock français à ne pas avoir baissé son froc pour vendre des millions d'albums. Après 10 ans d'une carrière bien remplie, et après avoir donné naissance à trois albums sans concessions, dont le petit dernier "Dur comme fer" est sorti en Mars, le combo du cactus hallucinogène, en tournée depuis quelques mois, recharge son shotgun avant de mitrailler une nouvelle fois les routes de France et de Navarre (NdMM : Pourquoi toujours "de France ET de Navarre" ? Eske quelqu'un a une idée d'où se trouve la Navarre ?). Mais, au fait, comment vont nos quatre lascars ? Reuno, chanteur du groupe, nous renseigne sur la question.

Quel est l'état d'esprit de Lofofora après la sortie de "Dur comme fer" ?

Peut-être plus serein que d'habitude. On a essayé, avec ce troisième album, d'affirmer et de cultiver encore plus la personnalité du groupe. Je crois qu'on ne s'y est pas trop trompé. En réécoutant l'album, j'ai l'impression que c'est vraiment proche de ce que l'on voulait faire passer.

En quoi est-ce que "Dur comme fer" marque une évolution musicale dans la carrière de Lofo ?

"Peuh", notre deuxième opus, était un gros coup de boule. L'album arrivait dans l'énergie de la grande tournée de Lofofora après la sortie du premier album. On avait envie de reproduire cette énergie-là dans un album. C'est pour ça que "Peuh" a été cette espèce de violence maîtrisée, tout d'un bloc comme ça. Sur "Dur comme fer" c'est évident qu'on a pris plus de recul, vis à vis de nous-mêmes d'une part, vis à vis de nos compositions d'autre part. Il y avait d'autres émotions que l'on avait envie de faire passer dans notre musique, et que jusqu'à présent nous n'avions pas fait passer.

Quels types d'émotions ?

Moins d'affirmation brute, essayer de soulever des questions, poser des points d'interrogation, plutôt que d'affirmer. Faire bien comprendre aux gens aussi que si dans le passé on avait pû croire que Lofofora montrait du doigt, c'est que nous même, avant tout, on se montre du doigt. On ne se situe pas dans une élite intellectuelle, ou quoi que ce soit, qui aurait un pouvoir de jugement sur le reste du monde. C'est iportant d'admettre ses propres faiblesses pour comprendre les faiblesses du monde.

Mais musicalement ?

Depuis toujours, dans Lofofora, même si on fait de la musique avec une guitare, une basse et une batterie, on écoute pas que des groupes qui font le même genre de musique que nous, avec les mêmes instruments. Dans d'autres styles de musique, il y a des choses qui nous touchent énormément. Des gens comme Tricky, Portishead, Arthur H., Caïus, les Melvins. Eux arrivent à développer des climats musicaux différents. C'est tout à fait intéressant, et on a envie, malgré notre base un peu hardcore, un peu brutale, d'enrichir notre propos musical.

Tu penses que ça transparaît dans "Dur comme fer" ?

Je pense qu'en effet on a réussi à retranscrire une palette d'émotions différentes. C'est moins tout d'un bloc que le précédent. L'album n'est pas tout noir ou tout blanc, il y a une palette en dégradés de gris.

Dans le morceau "Les liquides de mon corps", vous vous êtes fait plaisir ?

Je ne sais pas pourquoi, mais depuis un bon moment j'avais envie d'écrire un texte qui s'appelerait "Les liquides de mon corps". Et puis le groupe Transpunk, un groupe hollandais avec qui nous sommes amis et avec qui nous avons tourné en France, m'ont contacté pour écrire un texte en français et pour participer à leur prochain album. J'ai été très flatté parce que j'ai beaucoup d'admiration pour ces gens-là, et ils m'ont envoyé une cassette avec une verison démo du morceau sur lequel je devais plaquer des paroles. Je l'ai écouté en boucle comme quand on est dans le local de répèt' et que mes troispotes sont en train de trouver des accords, afin de m'en imprégner, ressentir la musique et recréer ce sentiment là à travers mes textes. C'était l'occasion rêvée pour écrire "Les liquides de mon corps", et de plus j'avais envie de prendre un virage dans ma façon d'écrire. Dans le rock, il n'y a pas que la revendication au sens brut qui est forcément intéressante. On est un groupe de rock français qui écrit en français et ma culture d'auteur de chansons inclut Brassens ou Brel. On n'est pas un groupe de rock dans le sens anglo-saxon du terme, c'est à dire qui pond uniquement des textes avec des images fortes prêtes à être digérées. La langue française permet une forme d'écriture plus littéraire, même si j'ai du mal à me qualifier ainsi car je ne lis pas énormément. Maintenant c'est vrai que j'ai lu quelques bouquins quand même ces dernières années. Et puis il y a des gens dans leur expression qui m'ont beaucoup touchés. Ce qui me touche le plus dans l'écriture, généralement, c'est la franchise envers soi-même, y compris envers ses propres faiblesses et ses propres démons. Pour le type qui écrit, c'est une bonne thérapie. au lieu de m'ouvrir les veines dans ma baignoire, j'ai écrit "Les liquides de mon corps".

"Dur comme fer", c'est une aspiration, une promesse, ou une philosophie ?

J'aime de plus en plus les expressions artistiques où chacun des spectateurs arrive à voir sa propre interprétation, sans que cette interprétation soit opposée d'une personne à une autre. Mais que chacun ait son petit regard à soi. Un titre comme "Dur comme fer" permet cela. Ca peut avoir la connotation robuste, solide, que notre musique a gardé, même dans les morceaux les plus atmosphériques. En même temps, "Dur comme fer" est un titre qui peut avoir une connotation un peu péjorative, dans le sens ou croire en quelque chose dur comme fer c'est avoir une idée figée de l'existence. C'est dangereux de croire que les choses n'évoluent pas. C'est un truc qui nous a toujours emmerdé, que ce soit dans la musique, ou dans la vie politique et sociale. Il faut arrêter de se masquer le visage, et il faut regarder les choses en face. Lofofora pour nous, c'est un truc en perpétuelle évolution. C'est pas quelque chose de figé, et malgré tout, on y croit dur comme fer à cette évolution.


Lofo aux Eurocks le 9 juillet 99

J'ai l'impression malgré tout que Lofo reste fermement attaché à la veine du rock français dur. Qu'en est-il réellement ?

Franchement pas trop. Il y a quelques groupes évidemment qui ont marqué l'histoire du rock français, sans que ce soit fatalement pour nous des influences, des gens comme Métal Urbain, Trust, les Bérus, et plus tard la Mano Negra. Il y a évidemment tout le hardcore de Washington ou de NY depuis le milieu des années 80, qui nous a vachement influencé. Aussi le côté plus crossover des groupes californiens, comme Suicidal Tendancies, les Red Hot Chili Peppers, Fishbone. Et puis le stoner-rock, qui est un peu la descendance de Black Sabbath, avec des groupes comme Caïus, sans solo à rallonge, avec ce côté lourd, lent, et groovy. C'est pas pour rien que dans le dernier album de Busta Rhymes, il y a une reprise d'Ozzy Osbourne, et ça le fait très bien de rapper sur du Black Sabbath. Pour nous le hip hop, c'est quelque chose aussi de très important, même si on a pas de machines et que l'on ne s'est jamais considérés comme des rappeurs. Le hip hop, français ou américain, fait complètement partie de notre culture musicale. Lofo, avant tout, est un groupe d'ouverture, tant au niveau de l'esprit qu'au niveau de la musique. Pas ouverture à tout prix, une ouverture sincère. J'écoute de la musique ethnique à la maison, tous les quatre on aime bien Ekova, au bout d'un moment cela fait partie de nos influences.

Quel regard porte Lofofora sur notre époque ?

Notre vision de l'époque ? En fait c'est que l'on n'a jamais été aussi proche et du bonheur, et de l'asphyxie. C'est à dire le fait d'avoir entre nos mains les outils d'un bonheur potentiel, et le fait que l'on a jamais été aussi proche de l'Armageddon. Cette contradiction là nous pousse à la réflexion. La musique est un outil de communication privilégié. Il n'y a pas une forme d'expression supérieure à une autre. Ecrire un bouquin, faire de la musique, ça peut être le même combat. On n'est pas des hommes politiques. On n'a pas envie de fédérer. On a envie de réveiller les gens. Qui que tu sois, même si tu n'es pas pompier, quand il y a le feu tu vas l'éteindre. Il faudrait peut être prévenir les gens qu'ils vont cramer, et si tu as un seau d'eau sous la main, jette le quand même !

Entretien réalisé par Arnaud Pagès, et photos de Jean Michel


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